La crise de la quarantaine
« La crise de la quarantaine, c’est ce qui arrive quand on grimpe en haut de l’échelle et qu’on découvre qu’elle est contre le mauvais mur. » ~ Joseph Campbell
En fait, c’est un humain plutôt bien qui approche du milieu de sa vie et qui découvre la crise de la quarantaine. Vous connaissez probablement ce type d’humain ou vous l’avez déjà rencontré.
Il a fait tout bien jusqu’à présent et il est ce qu’on appelle « un succès ». Il a atteint ce qu’il s’était fixé comme objectif. Avec le travail, l’agitation continue a plutôt bien payé pour lui.
Il a de l’argent en banque, les gadgets dernier cri, des téléviseurs grand écran dans chaque pièce, une dette supérieure à la moyenne, une carrière stable, une belle maison, une famille en bonne santé, deux voitures et un bateau dans l’allée.
Ce n’est pas trop mal…
Vous pourriez le voir au café du coin
C’est l’homme aux épaules voûtées, aux yeux vitreux et d’une médiocrité tiède, les écouteurs perpétuellement logés dans ses oreilles, les cheveux soigneusement peignés.
À le regarder de plus près, son taux de testostérone est aussi diminué que son esprit, et il porte probablement une paire de mocassins aussi immaculés que ses mains sont « civilisées ».
Jusqu’à présent dans la vie, il a tenu les loups à distance et vit une existence agréable, sûre et sécurisée.
Et le voilà touché
Puis, par une belle matinée ensoleillée, alors qu’il avance dans la circulation pour se rendre au travail, quelque chose le frappe comme un coup de marteau sur le crâne. Quelque chose d’inexplicable.
Pour la première fois de sa vie, une profonde panique s’installe en lui. Son cœur cogne rapidement dans sa poitrine. Sa respiration s’accélère. Il y a un sentiment de mort qui s’infiltre dans tous les pores de son enveloppe corporelle.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » se demande-t-il.
Cela commence à se produire plus souvent – ces petits épisodes d’anxiété qui lui prennent aux tripes et qui finissent par se transformer en dépression.
Il n’arrive plus à trouver la motivation qu’il avait auparavant ni le but ni l’envie. Il remet désormais en cause toutes ses décisions passées, sa trajectoire, ses croyances.
Mais, qui suis-je, bon sang ?
Il se lance dans un déchaînement existentiel et dévore de nombreux livres de développement personnel, des séances de thérapie, de longues promenades nocturnes.
Cela ne l’aide pas beaucoup. Il y a quelque chose qui cloche, il le sent dans ses tripes, mais il n’est pas sûr de ce que c’est.
La peur de la mort a toujours été présente, mais d’une manière ou d’une autre, elle a fait son chemin jusqu’au premier plan de sa conscience éveillée.
Conscient de sa mortalité, une toux persistante ou une douleur aiguë dans les intestins déclenchent en lui une grande terreur. Elle ronge toutes les fibres de son être.
La conscience soudaine de la mort commence à le priver de sommeil. Il entend des mots obsédants tels qu’ « il est trop tard » qui flottent dans l’obscurité. Il se familiarise avec ces lampadaires de 3 heures du matin qui s’infiltrent dans sa chambre alors qu’il reste éveillé à regarder les ombres des arbres trembler sur les murs.
C’est dans ces heures précédent l’aube qu’il commence à comprendre que sa vie n’a été qu’une mascarade, un homme jouant un rôle dans le scénario d’un autre.
Comme le personnage de la pièce d’Arthur Miller – Mort d’un commis voyageur – il se rend compte « du mensonge ridicule qu’a été toute ma vie ».
Il remarque enfin le voile qu’il a mis pour sauver les apparences – le masque, le rôle adopté, les pitreries non authentiques qui ont incarné une si grande partie de sa vie.
Il sait qu’il n’a fait que traverser ses journées de façon répétitive, non dépourvue de vigueur, mais sans élan créatif.
Il vit en pilote automatique depuis qu’il se connaît
Son agitation extérieure masque sa paresse intérieure – une entrave à son esprit créatif. Et ses nombreuses obligations ennuyeuses contribuent à sa perte. Il le sent, il le sait.
Quelque part, en cours de route, il a perdu le contact avec ce feu intérieur qu’il avait et se trouve maintenant complètement empêtré dans un système d’apprivoisement.
Son identification excessive avec son rôle culturel et familial a érodé chaque fibre de ce qu’il est vraiment.
Et bon sang, il le sait… Il le sent dans tout son corps. Chaque muscle devenu rigide et tendu est une manifestation de son état d’agitation.
Ses intuitions naturelles se sont estompées et ses instincts, désormais ternes et atrophiés, ne sont plus le guide fiable qu’il avait dans la vie.
Cet homme s’est trop éloigné du chemin de la nature. Trop loin de ses rêves d’enfant et de sa voix intérieure. Il est devenu un automate qui ne vit que pour satisfaire les exigences stériles de sa culture frénétique.
À quoi sert le « succès » s’il ne contribue en rien au plaisir d’être ?
Cet homme accompli qui avait navigué si facilement sur le fleuve de la vie se retrouve maintenant échoué sur les rives boueuses d’un marécage, sans direction.
Il regarde autour de lui le vaste terrain inconnu qui se présente à lui : « Où dois-je aller, quelle est la prochaine étape ? »
Il est dit que « Lorsque les choses se déroulent comme prévu, l’âme dort, son royaume est aussi pâle et vague que la lune et les étoiles dans l’éclat du soleil. »
Il n’est pas le seul.
Beaucoup d’entre nous ont été ou seront un jour confrontés à un certain type de malaise de la quarantaine. Surtout en vivant dans une culture creuse dont les valeurs dominantes sont l’argent, le pouvoir et le soi-disant progrès ; une culture qui ne supporte pas de vieillir.
Le brillant psychologue suisse Carl Jung a traité de nombreux patients qui ressemblaient beaucoup à l’homme dont je vous parle plus haut. Jung écrit :
« J’ai souvent vu des gens devenir névrosés lorsqu’ils se contentaient de réponses inadéquates ou erronées aux questions de la vie.
« Ils recherchent la position sociale, le mariage, la réputation, le succès extérieur de l’argent, et restent malheureux et névrosés même lorsqu’ils ont atteint ce qu’ils cherchaient.
« Ces personnes sont généralement confinées dans un horizon spirituel trop étroit. Leur vie n’a pas un contenu suffisant, un sens suffisant. Si on leur permet d’évoluer vers des personnalités plus larges, la névrose disparaît généralement. »
La crise de la quarantaine est une bénédiction
Cependant, Jung nous dit qu’il y a encore de l’espoir pour cet homme. Le malaise de la quarantaine est une bénédiction déguisée.
Même s’il n’en a pas l’air au premier abord, cet homme a beaucoup de chance que ce début de désespoir ait suscité une réaction, un besoin de regarder en lui plus profondément et de faire une réévaluation.
Mais il est bien trop fréquent que de nombreuses personnes ignorent ce désespoir aigu et redoublent d’efforts sur leur existence égocentrique et sans profondeur.
Leur estime de soi étant au plus bas, beaucoup resteront des disciples dévoués de leur « petit ego convulsif », selon les mots de William James.
C’est l’homme stéréotypé qui achète une voiture de sport inabordable et qui s’endette un peu plus. Ou bien c’est la femme d’âge moyen qui change de garde-robe de façon à être plus provocante et fréquente le chirurgien esthétique local.
Ils deviennent tous deux compulsifs et adoptent des comportements destructeurs pour tenter de combler ce vide béant dans leur vie.
Ils dérivent de plus en plus pour nier leur mortalité et s’accrocher à une jeunesse qui décline.
Ce n’est pas la voie à suivre
Cette route mène à l’angoisse mentale, à la médication à vie et à une dépendance pathologique de leur « petit ego convulsif ». C’est une route pavée de mauvaises intentions qui mène à la ruine du coeur, du corps et de l’esprit. Notre société débauchée est saturée de ce type de personnes.
Carl Jung, probablement le penseur psychologique le plus profond du XXe siècle, a compris que le milieu de la vie, la crise de la quarantaine, est une période de transition essentielle dans la vie de l’homme moderne.
La première moitié de la vie est essentiellement théâtrale.
Nous sommes fortement socialisés et avons tendance à adhérer aveuglément aux valeurs collectives de l’endroit où nous sommes nés.
Nous nous conformons à l’excès, nous nous cachons derrière les coutumes et les conventions et nous vivons de la manière que la société attend de nous.
La société est la grande scène étincelante où nous adoptons nos rôles et où nous nous comportons en conséquence.
Au cours de ces années formatrices, nous recherchons le succès, le pouvoir, l’approbation et la notoriété.
Nous essayons de laisser notre marque sur le monde, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais souvent, nous l’obtenons au détriment de notre moi profond et véritable.
Notre faux moi l’emporte au détriment de l’authenticité.
Nous menons nos vies dans l’espoir de recevoir de grands applaudissements. Puis, un jour, nous commençons à remarquer que les rideaux se baissent. Nous paniquons.
C’est à ce moment-là que nous commençons à réaliser que les valeurs culturelles auxquelles nous nous sommes accrochés toute notre vie ne correspondent plus à ce que nous sommes vraiment. Le temps presse et nous commençons à nous poser des questions.
C’est ce qu’on appelle la crise de la quarantaine, « la confrontation avec l’inconscient », et personne n’est à l’abri de ses effets subtils ou parfois durs.
Mais si l’on s’y prend bien, c’est une passerelle dorée qui mène à une seconde moitié de vie plus profonde. Et c’est une immense opportunité de croissance intérieure, de revitalisation et, selon les mots de Carl Jung, d’INDIVIDUATION – le développement ultime de « la vraie personnalité ».
En d’autres termes, c’est un appel à nous émanciper du masque culturel et à devenir qui nous sommes vraiment.
L’analyste jungien James Hollis écrit :
« Dans la seconde moitié de la vie, les questions deviennent : qui êtes-vous maintenant, en dehors des rôles que vous jouez ? Qu’est-ce que l’âme vous demande ? Avez-vous les moyens de changer de cap, de déconstruire votre identité péniblement acquise, au risque de l’échec, de la marginalisation et de la perte de l’approbation collective ? »
Jung, dans l’un de ses passages les plus brillants et poétiques sur le milieu de la vie, écrit :
« Plus nous approchons du milieu de la vie, et mieux nous avons réussi à nous enraciner dans nos attitudes personnelles et nos positions sociales, plus il semble que nous ayons découvert la bonne voie, les bons idéaux et principes de comportement.
« C’est pourquoi nous les considérons comme éternellement valables et nous nous faisons une vertu de nous y accrocher de manière immuable. Nous négligeons le fait essentiel que l’objectif social n’est atteint qu’au prix d’une diminution de la personnalité.
« De nombreux – bien trop nombreux – aspects de la vie qui auraient dû être vécus reposent dans le débarras parmi des souvenirs poussiéreux ; mais parfois aussi, attention, ce sont des charbons ardents sous des cendres grises. »
Cet homme se trouve à un carrefour de la vie
Comme beaucoup d’entre nous, il peut choisir la voie de la facilité, comme la grande majorité, ou prendre le chemin le moins fréquenté, celui qui mène à un bel éveil de son esprit.
Mais il doit avoir le courage de « se séparer des qualités collectives auxquelles on s’identifie » et prendre le temps d’intégrer « l’autre » personnalité qui a été trop longtemps refoulée.
Comme le dit Jung :
« Le milieu de la vie est le moment de se défaire d’un ego surdominant et de contempler la signification plus profonde de l’existence humaine. »
Cet homme doit apprendre à ajuster sa vie du mode frivole de l’AVOIR au mode intégral de l’ÊTRE et entrer dans la seconde moitié de la vie, non pas comme un rouage de la machine, mais comme un être humain qui se réalise.
Erich Fromm nous rappelle que :
« La voie de l’être consiste à pénétrer la surface et à saisir la réalité. »
Il poursuit par ailleurs en disant que :
« La base de toute approche de transformation de soi est une prise de conscience toujours plus grande de la réalité et la suppression des illusions. »
C’est l’appel à l’aventure – l’aventure de l’ÊTRE
Abandonner son égocentrisme et courir vers ce puissant rugissement dans la forêt obscure.
Penser au-delà de nos schémas de pensée socialement acceptés. Oublier le « rang » et le « titre » et développer un esprit plus unique et plus contemplatif qui ne cède en rien aux exigences, mangeuses d’âme, d’un monde fait de machines.
Le but ultime de la seconde moitié de la vie est de vivre de manière adéquate et indépendante pour utiliser pleinement ses pouvoirs et ses talents au service de quelque chose de plus grand que nous.
L’Homme est destiné à quelque chose de grand.
Terminons, si vous le voulez bien, par un poème du grand Hermann Hesse, qui exprime magnifiquement ce que signifie évoluer au travers des étapes de la vie…
Alors que chaque fleur se fane et que toute jeunesse
s’en va, ainsi va la vie à chaque étape,
De même chaque vertu, chaque sagesse,
S’épanouit en son temps et ne dure pas éternellement.
À chaque appel de la vie, le coeur
Doit être prêt aux adieux et aux recommencements
Sois prêt courageusement et sans remords
Pour trouver une nouvelle lumière
Et de nouvelles obligations
En chaque commencement réside une force magique
Pour nous protéger et nous aider à vivre.
Allons sereinement vers des lieux lointains
Sans s’accrocher à aucun pour nous retenir.
L’Esprit cosmique ne veut ni nous lier ni nous enfermer
Mais nous élève étape par étape pour nous élargir.
Si nous acceptons un foyer, un cercle de vie,
L’habitude familière nous rend indolents.
Nous devons nous préparer à nous séparer et à partir.
Pour échapper à cette habitude qui paralyse.
Mais l’heure de notre mort pourra peut-être
nous envoyer jeunes vers des espaces nouveaux,
Et la vie peut nous appeler à de nouveaux parcours.
Ainsi soit-il, mon cœur, fais tes adieux, c’est sans fin.
Merci beaucoup d’avoir lu cet article. J’espère qu’il vous a plu. S’il vous plaît, dites-le-moi dans le commentaire ci-dessous.